Le Canada perd 35 % de ses immigrants francophones, surtout au Québec et en Ontario

OTTAWA — Le Canada perd 35 % de ses immigrants francophones, une tendance particulièrement marquée au Québec et en Ontario, conclut le Conference Board du Canada dans un rapport publié mardi.

L’étude, commandée par l’Institut pour la citoyenneté canadienne, constate cette proportion de départs sur le long terme.

C’est toutefois dans leurs cinq premières années de résidence permanente au Canada que les nouveaux arrivants sont plus susceptibles de quitter, peu importe qu’ils soient francophones ou non. Chez les immigrants qui ont le français comme langue maternelle, ce sont les deux premières années qui sont déterminantes.

«Il y a un impératif d’agir avec urgence afin que ces premières années (…) soient excellentes. Sinon, nos données indiquent qu’ils sont très à l’aise d’explorer d’autres options», a dit en point de presse Daniel Bernhard, chef de la direction de l’Institut pour la citoyenneté canadienne.

Le fait que l’exode des francophones soit plus marqué au Québec ne surprend pas les auteurs du rapport, puisque c’est «la province qui accueille le plus grand nombre d’immigrants francophones».

La moitié des nouveaux arrivants francophones quittant le Canada résident au Québec, selon l’analyse.

«Un francophone qui quitte n’est pas un francophone qui contribue au caractère français du Québec», a ajouté M. Bernhard.

Les données recueillies suggèrent selon lui que la maîtrise du français est loin de constituer la seule raison pour laquelle un immigrant déciderait de rester pour de bon au Québec ou non. Ainsi, les défis d’accès au logement ainsi que d’intégration à travers un tissu social et un réseau de collègues pèsent aussi dans la balance, a-t-il donné en exemple.

Le phénomène d’exode des immigrants francophones est plus étonnant en Ontario, selon le Conference Board du Canada. «Le taux cumulé de migration subséquente des francophones est élevé comparativement à la proportion plus faible d’immigrants francophones qui s’y établissent. Cela signifie que l’Ontario a du mal à retenir les immigrants francophones au même rythme que les immigrants s’y établissent», peut-on lire.

Ainsi, les auteurs du rapport estiment que, sans une meilleure capacité de rétention, les objectifs du Canada d’augmenter la proportion d’immigrants francophones hors Québec pourraient être difficiles à atteindre.

«On parle toujours du nombre (de ceux) qui viennent. J’espère qu’avec ces données, on va parler plus, aussi, du nombre (de ceux) qui restent», a soutenu M. Bernhard.

Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, croit que la rapport comporte «beaucoup de spéculation», mais il a tout de même indiqué qu’il souhaite le lire en détail.

«Je ne veux pas minimiser, quand même, les conclusions. La réalité, c’est que l’intégration, c’est l’affaire de tous, que ce soit les particuliers, les villes, les provinces, territoires et le Canada», a-t-il dit en mêlée de presse.

Le bureau du ministre de l’Immigration du Québec, Jean-François Roberge, n’a pas répondu à une demande de commentaire de La Presse Canadienne.

Le ministère ontarien du Travail et de l’Immigration a, de son côté, défendu les investissements faits par la province pour soutenir les immigrants francophones, mentionnant un fonds de 25 millions $ pour le développement de compétences.

«À travers des investissements ciblés pour des programmes de formation de francophones et à travers des mesures politiques, l’Ontario renforce sa main-d’œuvre francophone et s’assure que les entreprises ont accès aux travailleurs qualifiés dont elles ont besoin pour croître et être compétitives», a-t-on déclaré par courriel.

Ottawa a annoncé le mois dernier qu’il augmentera ses cibles d’immigration francophone hors Québec à 8,5 % en 2025, à 9,5 % en 2026 et à 10 % en 2027, soit une hausse de 1,5 point pour les deux premières années et une nouvelle cible pour la troisième.

La Fédération des communautés francophones et acadienne réclame que la cible soit établie à 12 %, ce qu’elle considère être «le minimum» afin de rétablir et faire progresser le poids démographique des francophones.

M. Miller se dit préoccupé par le fait que des immigrants francophones hors Québec quittent des zones rurales qui ont besoin de leur contribution pour d’autres pôles d’attraction au pays. «Donc il y a peut-être l’attrait d’autres lieux au Canada», a-t-il soutenu.

Le Conference Board recommande que le cas de provinces qui font meilleure figure en termes de rétention d’immigrants francophones soit étudié afin «de mettre en lumière des pratiques exemplaires qui favorisent l’essor de communautés francophones accueillantes».

M. Miller a affirmé que deux projets pilotes mis en branle par son ministère portent leurs fruits. «(Ils) ont quand même des taux de rétention qui frisent les 80 % donc c’est réussi, mais à plusieurs égards on rame à contre-courant.»

M. Bernhard estime qu’Ottawa devrait considérer de fixer des cibles de rétention des immigrants. Le gouvernement pourrait dévoiler celles-ci chaque année, en même temps que la publication de ses niveaux fixés pour l’accueil de nouvelles personnes dans chaque programme d’immigration.

Le chef de la direction de l’Institut pour la citoyenneté canadienne déplore que le Canada n’arrive pas à retenir chez lui des talents et des immigrants qui ont été «triés sur le volet» pour leurs compétences.

À ce sujet, M. Miller a soutenu que les immigrants qualifiés sont connus pour être mobiles puisqu’ils peuvent trouver, au fil du temps, un emploi intéressant ailleurs dans le monde.